Le traitement des facteurs atténuants dans la détermination des peines de crimes économiques : la décision Nachi c. R., 2023 QCCA 1594
Par Me Audrey Van Strydonck
Avocate criminaliste chez Riendeau Avocats
Introduction
La détermination de la peine en matière de crimes économiques pose des défis particuliers, nécessitant un équilibre entre les facteurs aggravants et atténuants. Dans l’affaire Nachi c. R. 2023 QCCA 1594, la Cour d’appel a souligné l’importance d’une telle évaluation rigoureuse, en renversant une peine d’emprisonnement avec sursis imposée en première instance. Cette affaire met en lumière les difficultés inhérentes à la pondération des facteurs atténuants et aggravants, notamment la nature subjective de ces facteurs, le manque de cadres normatifs stricts et la nécessité de trouver un équilibre entre réhabilitation et dissuasion.
Contexte : fraude à l’identité
L’affaire concerne l’accusé M.A. Nachi, lequel a enregistré un plaidoyer de culpabilité sur dix chefs d’accusation de fraude à l’identité, pour avoir personnifié des clients de son ancien employeur, Vidéotron, afin d’acquérir des téléphones cellulaires. Le stratagème, employé sur une période de trente jours, visait à revendre les appareils à profit dans des commerces de prêteurs sur gages et a engendré des pertes estimées à près de 48 000 $ pour l’employeur.
En première instance, le tribunal a imposé à Nachi une peine de dix mois de détention à purger dans la collectivité, en plus d’une probation de deux ans et d’une ordonnance de remboursement de 22 000 $ échelonnée sur soixante mois. Un premier montant de 21 000 $ avait préalablement été remis aux autorités sur une base volontaire par l’accusé.
Peine : le prononcé en première instance
En ce qui a trait à la peine, la défense demandait une absolution conditionnelle, Nachi ayant un intérêt véritable à éviter un casier judiciaire pour des motifs professionnels, après avoir récemment entamé un retour aux études. Il soulignait également la présence d’un motif familial, c’est-à-dire la présence de certains membres de sa famille à l’étranger et le
risque qu’il se voit refuser le droit de voyager en raison d’un éventuel casier judiciaire. À cet effet, le juge de première instance a commenté sur la démonstration « minimaliste »
[1] que l’accusé avait effectivement l’intérêt véritable requis pour être absous, n’ayant reçu aucune documentation portant sur des perspectives d’embauche.
Pour sa part, la poursuite demandait l’imposition d’une peine de dix mois d’incarcération à purger dans la collectivité en se basant principalement sur le nombre et la nature des facteurs aggravants relevés. Parmi ces facteurs aggravants, la Cour, en appui de sa décision, notait principalement :
- L’abus du lien de confiance envers l’employeur, notamment en raison de l’utilisation des outils informatiques mis à la disposition de l’accusé pour l’exercice de ses fonctions;
- Les conséquences pour les personnes dont l’identité a été fraudée, notamment les « innombrables maux de tête […] au niveau de leur historique de crédit » [2];
- Le nombre de personnes fraudées, évalué au nombre de dix;
- La raison du passage à l’acte, à savoir en l’occurrence le financement d’un mode de vie oisif [3];
- Le montant dérobé et la perte subie, c’est-à-dire respectivement 10 000 $ et 48 000 $.
Au chapitre des facteurs atténuants, le Tribunal retenait plutôt la reconnaissance de culpabilité, l’absence d’antécédents judiciaires, la collaboration offerte aux policiers, le remboursement partiel préalable et le désir d’amendement de l’accusé. Au final, le juge de première instance conclut que les facteurs aggravants ont un poids plus important que les facteurs atténuants. De ce fait, une dénonciation de la conduite répréhensible de l’accusé militerait davantage en faveur de la proposition d’emprisonnement avec sursis de la poursuite dans de telles circonstances.
L’appelant a présenté une requête en autorisation d’appel de la sentence rendue par le juge de première instance, laquelle n’a pas été contestée par le Ministère public et a donc été accueillie.
Les motifs d’appel soulevés par l’appelant
Dans ses motifs, l’appelant contestait la décision sur la peine sous plusieurs aspects, notamment :
- L’absence de considération quant à l’ensemble de l’éventail des peines possibles,
- L’ignorance du principe de modération et des facteurs atténuants,
- Le défaut de traiter l’ensemble des objectifs de réhabilitation,
- La minimisation de l’impact de l’ordonnance de dédommagement sur la proportionnalité de la peine.
L’analyse des motifs d’appel
La Cour d’appel a relevé plusieurs erreurs de principe dans l’imposition de la peine par le juge de première instance. D’une part, le juge a omis de considérer de manière adéquate le jeune âge de l’appelant, à savoir vingt-trois ans au moment des faits, et l’absence d’antécédents judiciaires. Ces facteurs, reconnus comme étant atténuants dans des décisions antérieures telles que R. c. Lacasse, 2015 CSC 64 et R. c. Camiré, 2010 QCCA 615, doivent être pris en compte de manière significative.
Dans sa décision, la Cour d’appel a insisté sur le fait que « le jeune âge du contrevenant, jumelé à l’absence d’antécédents judiciaires, constitue une circonstance que le juge ne peut ignorer ou simplement laisser de côté »[4]. La Cour d’appel a ajouté que le juge de première instance « minimise tellement leur impact que le résultat équivaut à les avoir ignorés »[5].
D’autre part, le juge a considéré comme facteur aggravant les conséquences subies par les victimes, alors qu’aucune preuve n’avait été présentée à cet égard. En l’absence de témoignages ou de déclarations des victimes, il était selon la Cour d’appel injustifié de supposer des conséquences négatives telles que des problèmes de crédit. Cette supposition en dépit de l’absence de preuve en appui constitue une seconde erreur de principe ayant une incidence déterminante sur la peine.
En ce sens, la Cour d’appel a souligné que « le dossier ne comporte aucune preuve quelconque à cet égard, ni témoins ni déclaration de victimes »[6], et que « cette seconde erreur de principe conjuguée à la première, en lien avec les facteurs atténuants et aggravants considérés par le juge, mène à conclure qu’elle a eu une incidence sur la détermination de la peine en l’espèce »[7].
Décision : l’impact des erreurs de principe identifiées
En outre, la Cour d’appel a mentionné que son corridor d’intervention en matière de détermination de la peine est étroit et circonscrit, nécessitant une grande déférence envers les décisions de première instance. Néanmoins, celle-ci demeure d’avis que les erreurs soulevées en l’occurrence doivent mener à une réévaluation de la peine prononcée. En ce sens, la Cour d’appel a jugé que le jeune âge de l’appelant ainsi que l’absence d’antécédents judiciaires devaient être pleinement considérés à titre de facteurs atténuants. De même, l’absence de preuve concernant les conséquences pour les victimes a été reconnue comme une faille dans l’argumentation du juge de première instance.
En pareilles circonstances, la Cour d’appel a ainsi décidé de surseoir au prononcé de la peine et d’ordonner une probation de deux ans, avec les conditions initialement imposées par le juge de première instance. Elle a également maintenu l’ordonnance de dédommagement de 22 000 $.
Conclusion
L’affaire Nachi illustre l’importance d’une approche équilibrée et rigoureuse dans la détermination de la peine, particulièrement dans le contexte des crimes économiques. Bien que ce type d’infractions soient qualifiés d’objectivement graves, cette gravité intrinsèque ne doit pas systématiquement éclipser les facteurs atténuants. La Cour d’appel du Québec, en réaffirmant les principes de justice et d’équité, a souligné que même dans des cas d’usurpation d’identité et plus largement de fraude, une attention particulière se doit d’être accordée aux circonstances atténuantes.
Les dossiers de crimes économiques posent des défis particuliers en matière de pondération des facteurs atténuants et aggravants. La complexité des infractions, la diversité des victimes, l’intention souvent préméditée, et l’absence de violence physique compliquent l’évaluation précise des impacts. Les auteurs de ces crimes disposent souvent de ressources considérables, rendant la détection et la poursuite plus difficiles. De plus, la quantification des pertes financières est complexe et sujette à débat, influençant la pondération des facteurs.
Ces défis nécessitent une approche rigoureuse et réfléchie, tenant compte des nuances de chaque dossier. Il est crucial de développer des lignes directrices claires et d’offrir une formation continue aux juges pour améliorer cette pondération. Promouvoir l’utilisation d’évaluations objectives pour mieux évaluer les conséquences pour les victimes et les intentions de réhabilitation des délinquants peut également contribuer à une justice plus équitable et proportionnée. Ainsi, ce processus garantit une justice équilibrée tout en reconnaissant la complexité de chaque dossier, assurant que les décisions judiciaires respectent les principes de justice et d’équité.
- [1] R. c. Nachi, C.Q. Montréal, no 500-01-205153-205, 12 octobre 2022, Labelle, J.C.Q., par. 30.
- [2] Id., par. 35.
- [3] Id., par. 15.
- [4] Nachi c. R., 2023 QCCA 1594, par. 9.
- [5] Id., par. 10.
- [6] Id., par. 18.
- [7] Id., par. 19.