Le parfait coupable – un texte d’opinion sur l’impact des modifications de l’article 742.1 sur les sentences en matière d’agression sexuelle.
Par Me Cédric Materne
Avocat criminaliste chez Riendeau Avocats
La victime parfaite, celle qui doit avoir réponse à toutes les questions se référant à un événement traumatisant, n’existe pas. Au cours des deux dernières décennies, principalement, le droit en matière d’agression sexuelle a énormément évolué. Ainsi, le nombre de mythes et de stéréotypes qui étaient véhiculés et plaidés devant toutes les instances criminelles canadiennes ont, peu à peu, tous été invalidés par notre cour suprême.
Si la question de la victime parfaite semble avoir été traitée et réglée, qu’en est-il de la question du coupable parfait ? Que veut-on dire quand on parle de coupable parfait ?
Tout d’abord, lorsqu’on parle d’une personne coupable, on se trouve à la fin des procédures. Le justiciable a alors été trouvé coupable après un procès où il a de lui-même reconnu sa culpabilité en plaidant coupable. On se trouve alors à la dernière étape du processus judiciaire, soit la sentence. Cette étape est l’une des étapes les plus difficiles pour un juge, car il doit condamner un individu et non un crime. Il n’existe aucune formule pour déterminer la sentence exacte pour une personne déclarée coupable ; tout est une question des faits au dossier et des circonstances personnelles du justiciable trouvé coupable.
Dans les dernières années la Cour Suprême et notre cour d’appel ont souvent été appelées à trancher des questions pointilleuses et sensibles en lien avec la raisonnabilité d’une sentence en matière d’agression sexuelle. De plus, le 17 novembre 2022, suivant la sanction royale du projet de loi C-5[1], le gouvernement canadien ouvrait la porte à une nouvelle sanction pénale pour ce type d’infraction qui n’était pas disponible depuis 2007 ; l’emprisonnement avec sursis (communément appelé emprisonnement en collectivité ou « à la maison »).
Cette sentence permet à la personne trouvée coupable d’une accusation d’agression sexuelle de purger sa sentence de détention, s’il y a lieu, à la maison sous des conditions strictes. Plusieurs pourraient se poser la question suivante : Quel est l’objectif de permettre à certaines personnes de purger une peine de détention dans le confort de leur foyer ? La question brûle les lèvres puisque, plus souvent qu’autrement, cette forme de détention est mal perçue par la société. Pourtant, cette sentence permet de remplir plusieurs objectifs pénologiques, notamment en permettant à une personne de continuer sa réhabilitation déjà amorcée dans la société tout en offrant la possibilité de continuer à demeurer un actif en travaillant, en effectuant des heures de travaux communautaires ou même à suivre des thérapies spécialisées.
[…] Il est également convenu que l’emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dissuasif général appréciable si l’ordonnance est assortie de conditions suffisamment punitives et si le public est informé de la sévérité de ces sanctions. Un autre moyen de réaliser l’objectif de dissuasion générale est le recours à des ordonnances de service communautaire[2] ;
Cette sentence, loin d’être une sentence « bonbon », peut sembler clémente. Cependant, il faut savoir qu’aussitôt que l’une des conditions n’est pas respectée par le justiciable, celui-ci risque de voir sa sentence être révoquée et de devoir purger le reste de sa période de détention prévue dans un établissement de détention[3].
Comment détermine-t-on alors qui peut bénéficier de ce type de sentence ? La jurisprudence nous enseigne que dans certains cas, un justiciable qui a démontré une réhabilitation convaincante avant l’imposition de sa sentence pourrait être plus enclin à demander et à obtenir ce type de sentence, et ce, malgré la gravité de l’infraction[4]. Le but étant de réintégrer socialement le contrevenant.
Plus les procédures sont longues, plus les justiciables ont l’opportunité de démontre leur prise de conscience vis-à-vis de leurs actes, notamment en suivant différentes thérapies et en assumant la responsabilité des gestes posés. Mais qu’en est-il du justiciable qui fait un procès, est trouvé coupable et doit recevoir sa sentence le plus rapidement possible en raison de son droit constitutionnel d’être jugé dans un délai raisonnable[5] ?
Comment peut-on demander à cette personne de faire la preuve, au tribunal, de cette réhabilitation convaincante tout en respectant son droit d’être jugée dans les meilleurs délais ? Également, qu’entend-on par une réhabilitation convaincante ? Toujours dans la décision R c Gravel, le juge Simon traitant spécifiquement de l’accusé devant lui mentionne ceci :
Encore une fois, les démarches thérapeutiques entreprises par le délinquant, son introspection, l’amélioration de ses aptitudes en matière de communication relationnelle, les conséquences de la stigmatisation reliée aux diverses publications sur les réseaux sociaux, l’impact du processus judiciaire, les huit années et plus écoulées depuis l’infraction sans quelconque récidive délictuelle et les valeurs prosociales du délinquant participent à ce constat[6] ;
La question suivante se pose : comment demander le même niveau de réhabilitation à un justiciable qui n’a que quelques mois entre le moment où il est reconnu coupable et le moment où on doit décider de sa sentence ? Existe-t-il un coupable parfait pour obtenir ce type de sentence pour des dossiers d’agression sexuelles ? Chaque dossier et chaque personne devant faire face à ce type d’accusation devant nos tribunaux sont différents. Chaque justiciable vit ses propres enjeux personnels. Le tribunal doit alors pondérer l’ensemble des facteurs dans un dossier avant de rendre sa décision lesquels rempliront les objectifs de la détermination de la peine codifiés dans le Code criminel[7].
Le changement législatif de novembre 2022 est venu chambouler le cours des activités normales des tribunaux de premières instances criminelles. Comme le mentionne notre cour d’appel :
[…] ce changement législatif est trop récent pour identifier avec justesse les jugements pouvant servir à un exercice valable de comparaison sur l’octroi de l’emprisonnement avec sursis [dans les cas d’agression sexuelle][8] ;
Les juges de premières instances devront donc, dans les prochains mois, rendre des décisions qui pourront paraitre injustes, voir inconcevables pour le public. Cependant, le rôle des tribunaux n’est pas de satisfaire les désirs de la société en imposant des peines inappropriées et en les justifiant par un désir de vengeance. Procéder ainsi nous ramènerait des années en arrière quant à l’imposition de la peine.
Si le droit a évolué, pour le mieux, en ce qui a trait aux droits des victimes dans les dossiers d’agression sexuelle, il demeure en pleine évolution en ce qui a trait aux répercussions sur personnes déclarées coupables de ces crimes. Le droit étant en constante évolution, les prochaines années nous dirons, même si nous pouvons en douter, s’il doit ou non exister un coupable parfait.
- [1] https://sencanada.ca/fr/content/sen/chamber/441/debates/081db_2022-11-17-f?language=f#65
- [2] R c Brosseau, 2023 QCCQ 296, para 79, R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, par. 107.
- [3] Art. 746.6 (9) d) Code criminel, LRC 1985, c C-46. R c Brosseau, 2023 QCCQ 296, para 76.
- [4] R. c. Gravel, 2023 QCCQ 397, au para 212.
- [5] Art. 11b, Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.
- [6] Ibid, note 3, para 236.
- [7] Ibid, note 2, art. 718 et 718.2.
- [8] Lemieux c R, 2023 QCCA 480, au para 109.