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L'admissibilité des déclarations extrajudiciaires dans les enquêtes internes : une analyse de la décision r. c. Morin, 2024 qccs 1391

Par Me Audrey Van Strydonck 

Avocate criminaliste chez Riendeau Avocats

L’affaire R. c. Morin [1] illustre de manière significative les complexités et les défis juridiques entourant l’admissibilité des déclarations extrajudiciaires émises dans le cadre d’enquêtes internes, en particulier dans les secteurs de la construction et des grandes entreprises. Ce dossier a fait l’objet d’une myriade de requêtes en lien avec certains éléments de preuve recueillis, à l’issue desquelles l’accusé Normand Morin, ancien cadre de SNC-Lavalin, a subi son procès devant un juge et un jury. Le 22 février 2024, celui-ci a été reconnu coupable des trois chefs tels que portés, c’est-à-dire de fabrication de faux (366 C.cr.), de fraude à l’égard de la société Les Ponts Jacques-Cartier et Champlain inc. (380 C.cr.) et de fraude envers le gouvernement canadien (121 C.cr.). Des peines d’emprisonnement ferme totalisant 102 mois, ventilées sur chacun des chefs et à être purgées concurremment entre elles furent prononcées à la fin du mois d’avril 2024 [2].

Les accusations initialement déposées concernaient des allégations fort sérieuses et diverses. Il était notamment reproché à Morin d’avoir participé à des actes de fraude visant à tromper le gouvernement canadien, d’avoir fabriqué des documents falsifiés pour soutenir des transactions frauduleuses et d’avoir comploté afin de commettre ces infractions. En outre, Morin avait d’abord été accusé d’avoir utilisé des moyens dolosifs afin de frustrer Les Ponts Jacques-Cartier et Champlain Inc. de biens et de services de grande valeur. De plus, Morin était accusé d’avoir versé des commissions à Michel Fournier, président de Les Ponts Jacques-Cartier et Champlain Inc., en échange de relations d’affaires favorables, relativement au contrat de revitalisation du Pont Jacques-Cartier.

Les accusations initiales visaient non seulement Normand Morin, mais également deux sociétés coaccusées, SNC-Lavalin inc. et SNC-Lavalin International inc. Néanmoins, le procès desdites sociétés n’a pas été tenu, puisque le Tribunal, sur demande du poursuivant, a rendu un jugement accordant une requête pour ordonnance d’approbation d’un accord de réparation en lien avec les allégations, ce qui a eu pour effet de suspendre les poursuites entamées contre ces dernières [3].

 

Contexte factuel et procédure judiciaire

En février 2014, une enquête interne lancée par SNC-Lavalin, connue sous le nom de “Case Watch”, a été mandatée par la Direction des affaires juridiques de l’entreprise à la suite de la publication d’un reportage sur des allégations de corruption. Dans ce contexte, une déclaration extrajudiciaire a été recueillie le 15 octobre 2014 auprès de Normand Morin par les enquêteurs internes, Giovanna Taddeo et Nick Sheridan. Cette déclaration a subséquemment fait l’objet d’une vive contestation quant à son admissibilité à titre de preuve lors du procès, en raison des circonstances dans lesquelles elle fut donnée.

En effet, dans le cadre de la rencontre du 15 octobre 2014, les enquêteurs internes avaient assuré à Morin que sa déclaration demeurerait confidentielle et qu’il n’était interrogé qu’à titre de témoin, bien que les circonstances de l’entretien et l’implication de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ont subséquemment soulevé d’importantes questions quant à la nature libre et volontaire de cette déclaration.

C’est donc dans ce cadre que s’est tenu le voir-dire mixte relativement à la requête du poursuivant, référée sous l’intitulé « Requête G » dans le dossier. Cette requête visait à faire déclarer libres et volontaires et admissibles en preuve des déclarations de l’accusé ; ce voir-dire fait l’objet du présent article.

 

La règle des confessions en common law

La règle des confessions en common law stipule que toute déclaration faite à la police ou à toute personne en autorité, qu’elle soit inculpatoire ou disculpatoire [4], doit être volontaire afin d’être admissible [5]. Cette règle vise à équilibrer le droit de l’accusé de garder le silence et son droit à la protection contre l’auto-incrimination, avec les objectifs légitimes de l’État en matière d’application de la loi [6].

Selon cette règle, une déclaration extrajudiciaire faite à une personne en autorité est généralement inadmissible lors du procès, à moins que la poursuite ne prouve lors d’un voir-dire, et ce hors de tout doute raisonnable, que la déclaration a été faite volontairement [7]. Le juge doit évaluer si le caractère libre et volontaire de la déclaration est prouvé, en tenant compte de l’ensemble du contexte de l’affaire et en examinant si la conduite de l’État a privé l’accusé de son libre choix de parler ou non [8].

 

Positions des parties

Le ministère public arguait que la déclaration de Morin était volontaire et admissible en preuve, soutenant qu’elle avait été obtenue d’une manière qui permettait de préserver l’intégrité du système de justice. En revanche, l’accusé soutenait que ses droits avaient été violés lors de l’obtention de cette déclaration, et qu’elle devrait donc être exclue en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

Décision du 15 décembre 2023 sur le voir-dire sur la Requête G

Dans sa décision rendue en décembre 2023 quant au voir-dire mixte sur la Requête G [9], la Cour supérieure du Québec a déterminé que les enquêteurs internes de SNC-Lavalin, Giovanna Taddeo et Nick Sheridan, avaient effectivement agi en tant que personnes en situation d’autorité. La Cour, sous la plume de l’Honorable juge Éric Downs, a fondé sa décision sur la perception subjective de l’accusé, lequel croyait que les enquêteurs avaient une certaine autorité sur lui en raison de leurs rôles et de leurs affiliations avec SNC-Lavalin. Le Tribunal a également souligné que les enquêteurs n’avaient pas fourni de mise en garde adéquate ou suffisante à l’accusé et que leurs assurances quant à la confidentialité étaient trompeuses, compromettant ainsi l’intégrité du processus judiciaire.

La Cour a conclu que la déclaration de l’accusé n’avait pas été obtenue de manière libre et volontaire. En conséquence, la déclaration a été jugée inadmissible en preuve.

« CONSIDÉRANT que le poursuivant n’a pas prouvé, hors de tout doute raisonnable, le caractère libre et volontaire de la déclaration et qu’elle a été recueillie de façon à préserver l’intégrité du système de justice. Il appert qu’en raison de la ruse des enquêteurs, le processus pénal d’équité a été violé. Ainsi, les enquêteurs des affaires internes de SNC Lavalin inc. ont agi en quelque sorte à titre d’indicateurs de police et ont permis que soit transmise à la GRC l’entièreté du rapport Case Watch, dont la déclaration confidentielle de l’accusé » [10].

Le Tribunal a détaillé les circonstances entourant les déclarations faites par l’accusé, en se concentrant sur les éléments suivants :

  • Les enquêteurs internes ont utilisé un subterfuge de la nature d’une supercherie enindiquant à l’accusé que ce qu’il dirait serait confidentiel [11];
  • L’accusé a choisi de collaborer et de répondre aux questions des enquêteurs puisqu’on luiavait assuré que sa déclaration allait demeurer confidentielle [12];
  • La promesse de confidentialité s’est avérée mensongère puisque la déclaration de l’accusé ainsi que le rapport d’enquête Case Watch ont été remis à la GRC [13];
  • Les enquêteurs internes ont omis de faire une mise en garde à l’accusé et une telle absence de mise en garde constitue une preuve de prima facie que l’accusé a été privé de son choix de parler ou non aux autorités [14];

 

Appel de la décision portant sur la condamnation

Malgré la question de l’admissibilité de la déclaration extrajudiciaire résolue par le voir-dire, la saga judiciaire de l’affaire Morin se poursuit, car la décision portant sur la condamnation a été portée en appel en mars dernier. Le 26 avril 2024, la Cour d’appel du Québec a entendu la requête non-contestée présentée par Morin pour une mise en liberté provisoire en attendant la décision de seconde instance. Sans se prononcer quant aux chances de succès de l’accusé, L’Honorable Peter Kalichman a conclu que les moyens d’appel soulevés étaient sérieux et a ordonné la mise en liberté provisoire de Morin sous certaines conditions strictes [15].

À cet effet, les deux premiers motifs d’appel soulevés par l’accusé concernent des questions d’admissibilité de certains éléments de preuve au procès. L’inadmissibilité de la déclaration extrajudiciaire du 15 octobre 2014 n’a évidemment pas été contestée par Morin en appel. Néanmoins, la règle des confessions aurait très bien pu faire l’objet de débats en seconde instance, n’eût été le voir-dire sur la Requête G tranché en faveur de l’accusé. Cela illustre l’impact considérable que le non-respect des droits constitutionnels des individus dès le stade de l’enquête interne peut avoir à plus large échelle.

 

Impacts de la décision sur les enquêtes internes en matière de crimes à cols blancs

La décision dans l’affaire R. c. Morin a su soulever des questions cruciales quant à la conduite des enquêtes internes dans les institutions bancaires et autres grandes entreprises. Elle met en exergue la nécessité pour les entreprises de respecter scrupuleusement les droits des individus lors de telles enquêtes, afin de garantir l’admissibilité des preuves recueillies une fois à procès.

Les entreprises doivent mettre en place des politiques rigoureuses pour garantir que chaque enquête interne est conduite de manière légale et éthique, de façon à ce que les droits des individus s’en trouvent adéquatement protégés tout au long du processus. Cela inclut la fourniture de mises en garde appropriées aux individus concernés et la supervision indépendante des enquêtes internes menées pour éviter toute pratique inadéquate tels les subterfuges utilisés dans l’affaire Morin.

Parallèlement, en tant qu’avocate de la défense, il m’est crucial de rappeler que toute personne faisant l’objet d’une enquête interne doit être consciente des implications légales de ses déclarations, même si celles-ci ne sont pas données à un agent de la paix. Les individus doivent faire preuve de grande prudence quant aux informations qu’ils divulguent, puisque l’évaluation de l’admissibilité de ces déclarations se fait au cas par cas. Un seul détail peut donc s’avérer crucial et déterminant, en rendant celles-ci admissibles, alors qu’elles ne l’auraient été, n’eût été ce détail. Une compréhension claire des droits et des obligations de chaque partie est donc essentielle afin de naviguer efficacement la tenue d’une enquête interne et minimiser les risques de mauvaises surprises au stade du procès.

 

  • [1] 2024 QCCS 1391.
  • [2] Id., par. 109.
  • [3] À cet effet, voir R. c. SNC-Lavalin inc., 2023 QCCS 1967.
  • [3] R. c. Piché, [1971] R.C.S. 23.
  • [5] R. c. Tessier, 2022 CSC 35, par. 39 ; R. c. Singh, 2007 CSC 48, par. 25. 
  • [6] R. c. Tessier, précité note 5, par. 4, 69 ; R. c. Beaver, 2022 CSC 54, par. 46 ; R. c. Singh, précité note 5, par. 43, 45 ; R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, par. 33. 
  • [7] R. c. Tessier, précité note 5, par. 68 ; R. c. Oickle, précité note 6, par. 30, 68.
  • [8] R. c. Tessier, précité note 5, par. 68 ; R. c. Beaver, précité note 6, par. 48. 
  • [9] R. c. Morin, 2023 QCCS 5183. 
  • [10] Id., par. 46. 
  • [11] Id., par. 42. 
  • [12] Id., par. 43.
  • [13] Id., par. 44. 
  • [14] Id., par. 45.
  • [15] Morin c. R., 2024 QCCA 523, par. 15 à 17.

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Catherine Bernard, avocate criminaliste de chez Riendeau Avocats

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Alexandra Bérubé, avocate chez Riendeau Avocats Montréal

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Après avoir obtenu un baccalauréat en droit à l’Université de Montréal, Me Alexandra Bérubé a ensuite perfectionné sa formation en complétant une maîtrise en droit criminel à l’Université de Sherbrooke. Ayant déjà pratiqué en droit civil avant de se dévouer au droit criminel, elle fait preuve d’une grande polyvalence et sait jongler avec les différentes sphères du droit de manière à bien cerner tous les enjeux que peuvent comporter les dossiers qui lui sont confiés. Intègre, rigoureuse et passionnée, Me Bérubé est une avocate de conviction qui croit fermement en la réhabilitation et au droit à une défense pleine et entière.

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Me Cédric Materne est titulaire d’un baccalauréat en droit de l’UQAM et membre du Barreau depuis 2016. Véritable passionné du droit criminel et fier collaborateur du Groupe TVA, il inspire une confiance accrue et défend chaque cause en usant à la fois de sa détermination et de ses connaissances poussées en matière criminelle. Sa curiosité à l’égard des plus récents développements juridiques et sa façon créative de toujours repousser les limites du droit actuel lui prévalent une excellente réputation.

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Me Ana-Maria Mocanu a obtenu un diplôme en psychologie avant d’obtenir son baccalauréat en droit à l’Université Sherbrooke. Elle entame sa carrière chez Riendeau Avocats et est un véritable atout depuis maintenant 6 ans puisqu’elle s’occupe notamment de la clientèle anglophone du cabinet. Elle porte une attention particulière à chacun de ses dossiers qui sont très diversifiés et elle défend les droits de ses clients avec ardeur.

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Me Annie Lahaise

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Membre du Barreau depuis 2003, Me Annie Lahaise œuvre dans le milieu criminel depuis plus de 19 ans. Elle est aujourd’hui non seulement avocate-criminaliste chez Riendeau Avocats, mais également responsable du département senior et chargée de cours au Cégep régional de Lanaudière.

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Me Anne-Geneviève Robert

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Me Chainey a reçu une solide formation en droit de l’université d’Ottawa. Sa passion pour le droit criminel l’amena à se joindre au cabinet Riendeau Avocats, où elle exerce exclusivement le droit criminel. Plaideuse infatigable, cette jeune avocate n’est jamais à bout d’arguments. Débordante d’idées et d’énergie, elle est particulièrement créative, ce qui l’aide à trouver des défenses dans des dossiers qui semblent à prime abord indéfendable. Me Chainey est une avocate fonceuse, toujours prête à livrer bataille pour représenter au mieux les intérêts de ses clients.

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